LUI M’APPELLE KÉBA

DE CHRISTOPHE LEROY & ADRIEN CAMUS / 2011 / 26 min.

Kéba est la figure de l’idiot du village, de « l’anormal », inapte au travail et profondément seul. Une chose le tracasse, trouver du thé. Toute sa vie est tendue vers ce moment d’extase où, au fond de sa tanière, il le fait cuire, bouillonner et surtout le boit. Pourtant à l’entendre quelqu’un veille sur lui et passe certaine nuit lui apporter du thé, une paire de chaussure. C’est son étranger. Comment croire à cette histoire ? L’engouement du village pour ce mystérieux bienfaiteur ne fait qu’accroître nos doutes. Qu’il s’agisse d’un canular ou non, qu’importe. L’apparition de l’étranger pose sur le visage convulsé de Kéba, un sourire comme on n’en a peut être jamais vu.

Version anglaise

Note d’Auteur

Bakadadji / Sine Saloum / Sénégal

Il y a des films qu’on écrit et ceux qui vous tombent dessus. Celui-là s’est imposé à nous alors que nous étions sur le tournage d’un autre. Il n’est jamais facile de mener plusieurs tournages de front, et je pense que sans l’inspiration d’un jeune du village, nous n’aurions peut-être jamais réussi à mettre, par moments, notre tournage principal entre parenthèse pour nous intéresser à Kéba. Et cela, meme si la poésie qui émane de ce personnage nous avait touché d’emblée. Kéba est inapte au travail, simplet et épileptique ce qui, dans ce monde rural, n’est pas synonyme d’exclusion, mais plutôt d’une vie exposée à la raillerie.

La première année s’écoule. Concentrés sur notre tournage, Kéba n’est qu’apparitions lointaines, une silhouette convulsée qui s’approche ou s’éloigne, comme quelqu’un qui cherche perpétuellement quelque chose, sans jamais oser le demander. Il ne semble jamais s’arrêter de roder.

Que cherche-t-il ? Un peu de chaleur humaine. C’est à ça que l’on pense en premier tant il paraît seul, et tant les villageois ont pris l’habitude de le tourmenter.

Kéba a néanmoins une passion, une chose qui l’anime chaque jour: trouver du thé et du sucre. Pour cela, il arpente la brousse, ramasse ce qu’il trouve, des baies, des noix de cajou, du pain de singe, enfin bref, tout ce qui pourra servir de monnaie d’échange. Voilà pourquoi il rode, et quand il a enfin échanger son butin, que le thé est en sa possession, il fonce dans sa tanière, allume le feu et le boit frénétiquement.

Très vite Kéba dépasse sa réserve envers nous et commence à nous tourner autour pour du thé. La relation se crée, nous entrons doucement dans son univers, C’est alors que Daba, un autre jeune du village, entre en scène, et ajoute à la vie de Kéba, une dramaturgie capable de porter un film qui soit autre chose qu’un portrait.

Une nuit, après avoir bien préparé son coup, trouvé un grand manteaux, un gros sac et un foulard à se nouer sur la tête, Daba, entre au village déguisé en voyageur. Certaines femmes détalent sur son passage tant sa voix ce soir là est caverneuse mais partout on l’accueille car, ici une obligation d’hospitalité régit la relation des villageois aux voyageurs. Daba demande à parler à chaque fois aux chefs de famille, aux vieux. De maison en maison, la nouvelle se répand, colportée par les gosses, que Daba tourne dans le village déguisé en voyageur. Tout le monde finit par le savoir, sauf un, Kéba.

Avec la tendresse cruelle qu’ils ont pour lui, tout le village se met à jouer le jeu, et le voyageur devient “l’étranger de Kéba”, venu lui apporter du thé et du sucre. Le village cette nuit là défile dans sa chambre pour découvrir son étranger, tandis que Kéba est aux anges. S’il a un étranger, c’est à dire quelqu’un qui se déplace pour venir le voir, c’est qu’il est lui-même quelqu’un.

Tous les ingrédients sont là. Il y a Kéba et ses errances solitaires pour trouver du thé et puis planant autour, l’hypothétique retour de son étranger. Le film s’écrit comme ça, au travers des bribes que nous livre Kéba sur sa vie, son étranger… Rien n’est tangible, et tout est fait pour laisser planer le doute ; le contraste de son incroyable solitude et de la présence de l’étranger comme une destinée déshéritée vibrant d’un hypothétique espoir. Sans jamais donner l’assurance que l’étranger existe, le film peu à peu en révèle le contour.

En s’appuyant sur la dramaturgie naturelle de la vie, nous voulons brouiller les frontières entre documentaire et fiction. Inspirés par la tradition du cinéma réaliste, nous avons cherché à poétiser l’ordinaire, écrire une histoire dans la relation de l’individu à son existence, avec les limites et la force propre au documentaire.

 SÉLECTION EN FESTIVAL

2011
Festival International du Film d’Aubagne
Festival du Premier Film Documentaire – La Première Fois – Aix en Provence
Forum Social Mondial – Dakar
Festival Image et vie – Dakar
Benin Docs – Festival International du Premier Film Documentaire – Paris, Cotonou, Porto Novo

2012
Festival Rue Rale de Films des Terres Minées – St Germain de Salles